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FILMER POUR DIRE NOUS

Mon travail porte essentiellement sur les cultures populaires et leur transmission, les êtres humains en leur territoire, l’identité de ce territoire, ce qui dit notre commun. Mon parcours professionnel antérieur et mes diverses activités me ramènent toujours, depuis vingt ans maintenant, à ces questions: j’étais et je reste une militante de l’éducation populaire, je crois aux valeurs d’humanisme, de solidarité et de partage des savoirs et des compétences.

Dans mes films, j’ai la volonté de montrer un présent inquiet de son avenir, quand il ne cesse de se complaire à regarder et à déformer le passé.
Aujourd’hui, ce passé on le nie ou on le mythifie. On se renvoie archaïsme et modernité à la figure dans une sempiternelle bataille d’anciens et de modernes. Les choses sont toujours plus complexes. Pour ma part, j’essaie de toujours refuser d’entrer dans ce que je considère comme un faux débat, un débat biaisé.
Je partage l’avis du metteur en scène Olivier Py qui répondant à la question “Etes-vous moderne ?” affirme : “Moderne au sens de la Renaissance oui : je suis issu de l’humanisme. Moderne au sens du XXe siècle, non. Parce que cette modernité-là implique des ruptures, des brisures, une cassure entre les mots et les choses. Elle est faite de désespoir.”
C’est ce besoin de continuité dans les évolutions qui sous-tend ma réflexion. Bien sûr qu’on doit se méfier du réflexe “c’était mieux avant” qui peut donner lieu à des attitudes très réactionnaires ; mais il serait bon de s’interroger sur la violence des ruptures imposées par la modernité ou plutôt par l’obsession de modernité.

Quand je filme, je veux toujours dire : regardez ce qui vit aujourd’hui, ce qui existe encore, ce qui évolue en permanence en respectant ce qui dans “l’ancien” nous réunit, nous parle à tous, à nous qui faisons communauté de vie sur des territoires hérités, choisis ou subis quelquefois. Regardez... cela vaut le coup, non ? De se battre pour cela.

C’est à Sète, là où je vis depuis sept ans, que j’ai commencé à filmer, un jour de fête dans un bar au cœur des halles. Depuis, je n’ai pas cessé de filmer cette ville et les gens. C’est un travail au long cours que j’ai entrepris, chaque film étant un jalon de ce travail. Je me suis interrogée, évidemment, sur ce rapport très fort que j’ai à l’acte de filmer, et pourquoi ce désir s’est déclenché ici.

C’est Alain Tanner, quand il parle de son film sur les dockers du port de Gênes, Les hommes du port, qui m’a fourni un élément de réponse. « Dans la fiction on dit “je”, on n’a de comptes à rendre qu’à soi-même et aux spectateurs. Dans le documentaire, on dit “eux” et on a des comptes à leur rendre à eux, on n’est pas libre de se servir d’eux, sans leur accord et leur participation. Mais il ne faut pas faire le film sur “eux”, cela vous place au-dessus et ce n’est pas une bonne position. Il faut être avec eux, et que ce “eux” se transforme en “nous”. ça c’est une bonne place pour travailler le documentaire. Nous parlons ensemble de la même chose (...). Pour ce faire, il convient de se connaître, d’avoir un vrai désir de parler ensemble, de prendre le temps qu’il faut. Et cela vous permet aussi - c’était le cas avec Les hommes du port - de rencontrer des gens avec lesquels il est bon de pouvoir dire “nous”. »

Oui, je crois que je filme pour dire “nous”, et que Sète est encore un territoire où l’on se plaît à dire “nous”.